Carolane a tout juste 27 ans. Plus tôt cette année, nous nous rencontrons lors de réunions du milieu communautaire. Comme nos discussions sont intéressantes et que nous semblons connecter sur plusieurs points d'intérêt, nous nous donnons rendez-vous à un café sur la rue Racine. Les cafés ont rapidement lieu deux à trois fois par semaine et j'y trouve bien sûr un réconfort. Les MSN et Facebook nous font échanger davantage et, progressivement, les longues conversations téléphoniques et les visites en personne s'ajoutent.
Je parle de Carolane à une compagne de travail que j'apprécie bien gros et cette dernière me demande si je ne vois pas en elle une blonde potentielle. «Bien sûr que non, lui dis-je. Elle a 16 ans de différence avec moi!» Ma collègue a essayé de me convaincre que je pouvais surmonter cet obstacle facilement, qu'elle est bel et bien majeure.
Je me lance dans une explication détaillée comme une liste, ancrée dans mes croyances profondes: «Premièrement, le fait qu'elle ait 27 ans et moi, 43, dérange en ceci qu'elle a de nombreuses expériences et aventures à vivre. Je suis établi avec une famille issue de relations de couple passées, avec des enfants à qui je consacre temps et attention. Aussi, si elle veut des enfants plus tard... Avec la grande famille que j'ai, c'est sage que je m'arrête là.» Bref, au bout de mon discours, j'ai fait comprendre à ma collègue que ne pas être dans la même page de calendrier entraînait pour moi plus de stress qu'avec une dame de mon âge. Bien entendu, l'étincelle en moi jaillit davantage devant les «filles» sensiblement de mon époque! De toute façon, avec Carolane, c'est clair pour moi que c'est une amitié que j'apprécie et c'est bien comme ça. Je ne pense pas que ce soit différent pour elle.
J'ai eu des blondes plus vieilles que moi et, oui, pas mal plus âgées que moi. Huit, douze, quinze ans. L'histoire de «la page de calendrier» vient toujours nous rattraper, malgré la tentative désespérée de se convaincre du contraire.
Je rencontre Carolane plusieurs fois à notre café habituel et elle m'accueille de jour en jour d'une manière plus chaleureuse... Voire même rapprochée. L'évidence de quelque chose qui bouillonne dans ses idées se fait plus persistente. J'entreprends alors mon explication toute prête en me disant qu'au pire, nous resterions amis et reprendrions nos conversations où nous les avons laissées la veille. Ha!
La jeune femme reçoit mes mots comme une tonne de glaçons, déversés sur sa tête. Essayant de dissimuler sa peine, elle tente maladroitement de trouver un rendez-vous oublié, quelque excuse pour quitter subitement. Une vingtaine de jours passent sans que je puisse établir un contact avec elle. Puis, aussi soudainement, elle apparaît sur MSN. J'ai droit moi aussi à toute une explication dévoilant sa peine et sa désillusion. L'amitié, telle que nous l'avons connue, ne survit pas.
Nos conversations sont, depuis, très polies mais sans plus. J'aime espérer qu'elle comprendra mon point de vue et je souhaite un jour pouvoir lui laisser savoir que je comprends le sien. Mais nos mondes gravitent autour de soleils différents, à dix ou quinze années lumières l'un de l'autre.
- Jeff